Une histoire dans l'Histoire / Phnom Penh sous les Khmers rouges

Rencontre avec Tian, auteur et dessinateur de bande dessinée.

 

 

"L'année du lièvre"


"Je m'appelle Tian, je suis auteur et dessinateur de bande dessinée, auteur de "L'année du lièvre", 1er tome d'une trilogie. C'est une histoire personnelle parce qu'il s'agit de mes parents et de toute ma famille qui a vécu la période Khmers rouges entre 75 et 80. J'essaie de m'approcher au maximum du récit de mon papa, parce qu'il y a beaucoup de choses qui me paraissent si invraisemblables, si exceptionnelles... Il est difficile d'en faire une fiction.

 

 

Avant de construire le scénario j'ai cherché un type de narration qui pourrait amener le lecteur à vivre les même choses que cette famille, que tous les personnages. Dans un premier temps je me suis orienté vraiment sur un personnage -qui est mon papa, et j'ai essayé d'amener petit à petit à connaitre d'autres personnages autour. C'est ce voyage que j'avais envie de faire ressentir au lecteur."

 

 

 

 

"C'était difficile à raconter. Mon père a été très "acteur" des événements, donc il a été moins traumatisé, mais ça a été très difficile d'obtenir des détails de mes oncles, de mes tantes…

 

Dans le 1er tome, j'ai voulu amener le lecteur à ressentir le doute, comme la famille -bien que l'on connaisse l'histoire dans son ensemble. Amener à douter, à ne pas avoir d'information extérieure était ma priorité dans la construction du scénario. J'ai choisi d'être assez "tabou" au niveau de la violence, de vivre au jour le jour avec des personnages… je n'ai pas voulu m'orienter sur les atrocités comises puisque dans le deuxième tome il y aura aussi beaucoup de choses assez dures à prendre sur soi."

 

 

"Ne vous inquiétez pas"

 

" "Ne vous inquiétez pas" (tome 2) est à la fois un moyen de se rassurer, mais c'est aussi une expression qu'utilisent les Khmers rouges pour amener à la mort les personnes: quand ils tuaient des gens ils ne le disaient jamais en face, ils disaient "vous allez travailler", "vous aller rejoindre votre ami…" mais jamais "on va vous tuer!". C'est une manière douce d'amener les gens sans crainte à la mort. Donc l'expression, pour les anciens, qui ont vécu, peut terroriser l'esprit.

 

L'objectif de cette BD était de témoigner, de mettre en mémoire l'histoire de ma famille, et surtout aussi pour éviter de transmettre émotionnellement tous ces événements à mes descendants, à mon fils… En créant ce livre, on donne la possibilité à la génération future de venir librement le consulter. Pour ne pas oublier."

 

 

Procès de dirigeants Khmers rouges


"Au début je trouvais que c'était du spectacle parce qu'on sait très bien que les dirigeants au Cambodge sont des anciens Khmers rouges, et que si on monte très haut, au-delà de ces cinq dirigeants, on touche à des grandes puissances, dont la Chine et d'autres pays. C'est assez complexe et ça ne rendra jamais justice complètement. Mais j'ai changé d'avis, c'est quand même positif: ça donne une clarté, ça permet d'informer les jeunes générations cambodgiennes à l'histoire. Là-bas il n'y a pas du tout de pédagogie là-dessus, aucun enseignement sur les événements Khmers rouges. Je prends l'exemple des vestiges d'Angkor: si les archéologues étrangers n'étaient pas venus restaurer les temples, ils seraient toujours à l'abandon dans la jungle. Pour ces événements Khmers rouges, on dépense une fortune pour mobiliser des avocats, mais ça aide le peuple cambodgiens à voir la réalité."

 

 

La quête de soi, et savoir où on va

 

"Ce livre est né après plusieurs tentatives de projets artistiques. Je me suis toujours interrogé sur mes origines, sur ma vie, quelle place j'avais dans la culture française. C'est très difficile quand on est déraciné de s'intégrer et de voir à quel milieu on appartient. A l'intérieur on est ce qu'on est, mais à l'extérieur ça ne change pas. Donc on a vite des à priori sur l'apparence, et trouver ses repères sur les deux cultures donne un équilibre et une maturité pour avancer. Je pense que "L'année du lièvre" est né de cette réflexion là. Quand les trois tomes seront achevés, je pense que je trouverai un meilleur équilibre sur mes projets  à venir."

 

"En recueillant le récit de mon papa et de ma famille, je découvre petit à petit les détails, le cheminement de leur parcours. C'est assez impressionnant. En construisant le scénario, en dessinant, je me rapprochais de plus en plus de cette crainte au fond de moi, cette peur qu'on a du mal à apprivoiser…. c'était la difficulté de faire naître un ouvrage comme ça. C'est peut-être une manière d'exorciser nos peurs. J'ai utilisé la bande-dessinée comme moyen d'expression, j'ai trouvé une manière très libre d'écrire. J'ai vécu avec des personnages qui ont existé: c'est toujours difficile de les faire vivre puis de les faire mourir un moment donné dans l'histoire. Ce sont des "choses de la vie" difficiles à accepter, mais cela donne de la maturité pour être optimiste, pour aller de l'avant."



 

 

 

 

L'artiste, un contestataire, un professeur?

 

 

"Tout le monde peut-être artiste du moment que l'on a quelque chose à dire. Ce n'est pas forcément pour contester quelque chose, ça peut être pour exprimer nos sentiments, des plus joyeux aux plus tristes. L'artiste peut se démarquer des personnes qui ne s'expriment pas. Mais le mot "artiste" est vaste. Moi j'ai utilisé la bande-dessinée parce que j'étais à l'aise mais je trouvais cela le support idéal pour toucher un maximum de gens, pas uniquement ceux qui ont vécu le drame. Je voulais rendre cette histoire accessible et ludique bien que ce soient des événements assez tragiques. C'est un bon mode d'expression.

Cette BD est destinée au minimum à des collégiens, 4ème, 3ème.

 

Les jeunes sont de plus en plus exposés à la violence, il y a de nombreuses histoires de zombies ou de massacres par exemple, et les contes de fées contiennent des choses assez dures. Tour dépend comment on raconte l'histoire, mais je crois les jeunes capables d'apprécier des histoires réalistes. C'est peut-être plus intéressant pour eux de voir des choses difficiles mais réalistes plutôt que de la fiction et une violence gratuite… ça leur donne une forme

 de maturité parce qu'ils prennent conscience de ce qui les entoure."

 

 

 

Printemps arabe


"Je suis touché par les révolutions arabes. Je suis toujours optimiste de voir des auteurs de bande dessinée qui parlent de ces sujets. Certains auteurs prennent vraiment conscience de leurs possibilités. Et j'espère que "L'année du lièvre" par exemple pourra à la fois s'exprimer pour les traumatisés et ceux qui ne peuvent pas s'exprimer au Cambodge. Comme au Rwanda et ailleurs, l'histoire se répète. Ce n'est pas parce qu'on a passé la Seconde Guerre Mondiale qu'il n'y a plus rien."

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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"L'année du lièvre, Au revoir Phnom Penh" (tome 1), par Tian : Editions Gallimard, 17,25 €

 

Et pour suivre Tian, rendez-vous sur http://lanneedulievre.blogspot.fr/2012/02/extrait-du-tome-2.html

 

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