Téhéran – Paris : "Tout a commencé avec un cafard..."

 

Mana Neyastani est un dessinateur de presse iranien. Après avoir travaillé pour des journaux d'opposition, il perd son travail et devient coordinateur pour un magazine jeunesse. En 2006, un de ses dessins, mettant en scène un cafard utilisant un mot employé par une ethnie - opprimée par le régime - va enflammer des troubles locaux. Suite à l'interprétation malencontreuse de ce dessin, Mana devient la cible du gouvernement qui, tout en attisant les animosités ethniques, va l'envoyer dans les geôles de la prison d'Evin. Jusqu'à ce que ...

 

Ce récit autobiographique raconte l'histoire d'un dessinateur qui a du fuir son pays pour rester libre. Au fil des pages, on réalise à quel point il lui a été difficile de trouver une terre d'asile en toute légalité. Trop souvent, la liberté d'expression a un prix cher payé...

 

 

" UNE METAMORPHOSE IRANIENNE "

 


Tout ce que vous racontez est-il vrai ?

 

Bien sûr j'ai choisi des morceaux de l'histoire. Je ne pouvais pas raconter tous les détails dans le livre, ça aurait été trop ennuyeux. J'ai donc choisi ce qui me semblait le plus extraodinaire. Tout est vrai, mais j'ai aussi utilisé ma capacité de narration, sans jamais distordre la vérité. Dans certaines parties, j'ai combiné plusieurs personnes en une (notamment dans la prison).

 

Regrettez-vous ce dessin mal compris?

 

Non, j'utiliserai le terme de regret pour ce que tu as voulu faire intentionnellement. Je n'ai jamais voulu insulter quiconque dans ma vie. Mon travail critique les autorités et les tabous entre autre... mais les groupes ethniques jamais. Je suis triste de ce malentendu. Peut-être que j'aurais dû  utiliser le mot avec plus d'attention.

En fait, votre dessin a été utilisé à des fins politiques...

Je ne peux pas l'affirmer. Je peux raconter l'histoire de mon point de vue, ce qui m'est arrivé. Quant à un potentiel scénario de la part du régime... Depuis des décennies, depuis la révolution, le régime et le système n'ont jamais eu un bon comportement. Les ethnies n'en peuvent plus de cette pression. Tout ce dont ils avaient besoin, c'était d'une source de provocation pour qu'ils puissent exprimer leur colère. Mon dessin est devenu ce prétexte, et le régime a utilisé la situation pour me mettre en prison et m'interroger.

 

 

 

Comprenez-vous que l'organisation de votre exil et demande d'asile ait été si compliqué ? Les demandes auprès des ambassades française, canadienne par exemple...

 

Non honnêtement je ne comprend pas. Peut-être que j'ai manqué de temps pour prendre la décision de quitter ou non mon pays, faire les visas. J'ai eu moins de 2 semaines avant de finalement quitter mon pays : ils m'ont relaché de prison temporairement, pour un mois. Au bout de 15 jours, le juge m'a dit que je serais puni pour ce que j'avais fait lors de mon procès. Donc le temps était compté. Mais une fois à Dubaï, pourquoi personne ne nous a aidé... c'est encore une interrogation.

 

Comment avez-vous travaillé, quel a été votre positionnement : celui de témoin, de victime...?

 

J'ai été une sorte de victime. La situation était kafkaïenne: une personne capturée et la situation le contrôlant. Elle ne peut pas changer le système, mais essaie de s'enfuir. C'est une combinaison de comique et tragique.... je voulais simplement raconter mon histoire.

 

Est-ce que ça a été simple ou plutôt difficile d'écrire et de dessiner votre histoire?

 

L'histoire était dans mon esprit bien sûr, mais il fallait faire une sélection. Il fallait une centaine, jusqu'à 200 pages peut-être. J'ai essayé de garder les parties les plus intéressantes. Une des raisons pour lesquelles j'ai écrit et dessiné cet ouvrage, c'est que j'avais besoin de récupérer après notre expérience, à ma femme et moi. Et comme mon collègue avec qui j'ai partagé une cellule, j'ai été blessé psyhologiquement, j'avais besoin de me rétablir. Aller voir un psychologue aurait sûrement été utile mais je n'en avais pas les moyens! En plus je ne connaissais pas de bons thérapeutes en Malaisie. Cette thérapie semblait la meilleure : écrire et dessiner.

 

C'est donc plus personnel que dans un but "politique"?

 

Au début oui. J'admire les ouvrages d'auteurs comme Joe Sacco, qui est tellement loyal à la réalité. Mais personnelement je ne suis pas un grand fan du réalisme, donc tout en restant proche de la réalite, j'ai d'abord raconté une histoire personnelle.

 

Mana Neyestani, Joe Sacco et Josh Neufeld lors du festival d'Angoulême 2012.

 

 

Quel est le pouvoir d'un dessin?  

 

Vous savez, les autorités syriennes ont cassé les doigts du dessinateur Ali Farzat parce qu'ils connaissaient le pouvoir du dessin. Ça influence facilement les gens, la communication est facilitée par le dessin. Les tabous peuvent être cassés par un simple dessin. C'est puissant.

 

 

Pensez-vous pouvoir rentrer en Iran, même après avoir écrit ce livre?

 

Oui bien sûr, je peux rentrer sans problème... mais en prison! (rires)

 

 

Voulez-vous rester à Paris alors?

 

Tout à fait. J'ai été invité par la mairie de Paris avec l'organisation ICORN pour 1 an. Ils ont étendu à 2 ans ensuite. Et récemment, j'ai fait une "demande d'asile" (en francais).

 

Comment ça se passe ?

 

J'adore Paris!

 

Comment allez-vous travailler d'ici? Allez-vous orienter votre travail vers la politique française?

 

J'ai besoin de plus de temps ici, pour identifier la situation. Je travaille toujours pour un site internet iranien qui traite d'information locale. Mais pour le reste j'ai besoin notamment d'apprendre à parler français. Je peux dire "demande d'asile" , compter jusqu' à... 80. Ce n'est qu'un début!

 

Vous pensez que la situation a changé en Iran?

 

Oui, mais j'aurais espéré que le changement soit plus profond dans les pays arabes. Je ne crois pas que la révolution se conclue forcément par la démocratie. La plupart du temps, les gens changent mais la tyrannie reste... Je souhaiterais que les esprits changent et que les gens soient réelement prêts. Pour une démocratie, ou au moins une situation meilleure que le tyrannie.

 

 

Le printemps arabe a touché les pays autour de la Méditerranée, mais en Iran il y a eu de grandes manifestations en 2009, quant est-il maintenant?

 

Vous savez, on a vécu une vraie révolution il y a 20 ans, et beaucoup d'intellectuels et de gens de classe moyenne d'Iran avaient espéré un aboutissement vers une démocratie. Ça n'a pas eu lieu. Maintenant tous les mouvements sont sanctionnés par le régime. Le plus important serait d'éduquer les Iraniens. Le gouvernement tente de l'empêcher: il censure les journaux et les magazines, il filtre internet, force les intellectuels à quitter le pays... ça nous montre l'amertume du régime.

 

Vous êtes en contact avec d'autres exilés ?

 

Oui, par internet entre autre. On partage notre expérience...

 

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"Une métamorphose iranienne", de Mana Neyestani, Éditions çà et là/ARTE Editions, 20 €

 

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Entendu sur RFI dans l'émission Accents d'Europe, ce papier de Laurent Berthault sur la bande dessinée traitant de l'actualité, et du magazine à venir: "la revue dessinée"...!

 

 

 

 

 

 

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