La BD, les femmes et le Festival International d'Angoulême


Retour sur la polémique qui a fait changer au 43ème Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulème (FIBD) son mode de nomination du Grand Prix, destiné à récompenser la carrière d'une(e) artiste de bande dessinée.

          

Le FIBD est passé par plusieurs modes de sélection pour le Grand Prix: création d'une liste par un comité restreint, sélection entre comité et auteurs présents à Angoulème... et maintenant, les auteurs ont le libre arbitre absolu pour l'élection du lauréat. Une première, qui se veut "étape ultime" de démocratisation. Pourquoi ? Pour ne plus être taxé de sexiste.
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Le 16 décembre 2015, le Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme poste un article sur son site internet :
"Suite à la publication de la liste des nominés pour le Grand Prix d’Angoulême 2016 pour lequel nous, autrices et auteurs sommes appelé.e.s à nous prononcer, le couperet est tombé : 30 noms, 0 femme. Nous rappelons que depuis 43 ans, Florence Cestac est la seule femme à avoir reçu cette distinction. (...) Nous nous élevons contre cette discrimination évidente, cette négation totale de notre représentativité dans un médium qui compte de plus en plus de femmes. Par le Grand Prix d’Angoulême la profession distingue l’un.e d’entre nous pour sa carrière. Ce prix n’est pas seulement honorifique, il a un impact économique évident : les auteur.e.s vont être mis en avant médiatiquement, la distinction aura un impact sur la chaîne du livre dont bénéficieront libraires, éditeurs… et l’auteur.e primé.e. Nous demandons tout simplement une prise en compte de la réalité de notre existence et de notre valeur."
 
           
                  

Le collectif appelle au boycott. Les artistes ne demandent ni parité ni quota, mais une mixité, indispensable représentativité d'un milieu de plus en plus ouvert. Le message est-il qu' "il n'y a aucune femme qui ne mérite le Grand Prix?" s'indigne Lisa Mandel, auteur d'"Esthétique & filatures" et "HP" (entre autres) et membre du collectif. "Il faut avoir de la volonté pour faire émerger les femmes, en trouver pour les mettre dans la liste". En effet, cela fait très, très longtemps que l'on s'est habitué à voir  uniquement des hommes être distingués (à part une femme en plus de 40 ans à Angoulème : Florence Cestac -dont vous connaissez certainement la plume!- en 2005).

            

La (courte) polémique s'accélère suite à un message sur Facebook de Riad Sattouf, auteur et dessinateur entre autre de "L'Arabe du Futur" 1 et 2 et "Pascal Brutal". "Sans aggressivité ni militantisme" (Christophe Blain), Riad livre à ses followers une "facétie" qui va faire bouger les lignes :



De nombreux autres auteurs et dessinateurs suivent le mouvement : Joann Sfar, Etienne Davodeau, Christophe Blain, Daniel Clowes... Quelques réactions ici : http://www.francetvinfo.fr/culture/festival/festival-de-bd-d-angouleme/absence-de-femmes-pour-le-grand-prix-de-bd-d-angouleme-quelle-debacle-ridicule-et-embarrassante_1255205.html

La réponse du FIBD ne se fait pas attendre. Dans un premier communiqué de presse, le festival explique "ne pas [pouvoir] refaire l'histoire". "Qu’est-ce que « le Grand Prix » ? Un prix qui vient couronner un.e auteur.e pour l’ensemble de son œuvre et sa contribution à l’évolution de la bande dessinée. (...) Les lauréats de ces trois dernières années incarnent la nature de ce Prix. Ils se nomment, Willem, Bill Watterson, Katsuhiro Otomo, ... Ces artistes réalisent des créations depuis plusieurs décennies. Lorsque l’on remonte dans ce laps de temps pour regarder quelle était la place des hommes et des femmes, dans le champ de la création, en matière de bande dessinée, force est de constater qu’il y très peu d’auteures reconnues. Si l’on observe la bande dessinée franco-belge, qui nous est la plus proche, et que l’on regarde des marqueurs générationnels, tels que les périodiques Tintin, Spirou, Pilote, A suivre, Métal Hurlant, Fluide Glacial, ... il est objectivement beaucoup plus rapide de compter leurs auteures (presque sur les doigts de la main) que leurs auteurs. Le Festival ne peut pas refaire l’histoire de la bande dessinée" (6 janvier 2016).

Après avoir pensé rajouter des noms d'auteures et dessinatrices dans la liste des sélectionnés, le FIBD décide finalement "d’inviter l’ensemble des auteur.e.s de bande dessinée à voter librement pour désigner comme lauréat.e l’auteur.e de leur choix" (7 janvier). Ainsi donc, ils seront environ entre 1500 et 2000 auteurs édités en France à pouvoir écrire un nom sur papier blanc dans quelques semaines pour désigner le Grand Prix. Fin de la liste.

Pour le Collectif de créatrices de bande dessinée contre le sexisme, le "FIBD ne prend pas ses responsabilités". Certes, il s'agira de "démocratie directe et d'un vote plus représentatif" nous confie Lisa, mais le FIBD n'assume pas.

              

Christophe Blain, auteur-dessinateur de "Quai D'Orsay" 1 et 2 et "Isaac le pirate" (entre autres) et précédemment nommé pour le Grand Prix 2016, pense lui que la sélection 100% masculine était "une maladresse, un oubli bébête : (...) c'est facile de mettre des vieux monuments" dans la liste. Mais la sélection devrait "obligatoirement" être plus mixte. "L'acte de Riad [un ami proche] était indispensable et très intelligent! C'est un coup de pied dans la fourmilière, mais une fourmilière plus bête que méchante". Facétie mise à part, Christophe est clair : "il n'y a pas de méchant à aller chercher".



D'ailleurs, avec Lisa, ils sont d'accord : il n'y a pas de problème de mixité dans la bande dessinée ! "Le milieu de la BD n'est pas macho! Historiquement, ça attirait plus les petits garçons... Claire Bretécher a été une pionnière, et très bien accueillie!". Dessinateurs et auteurs accueillent l'arrivée des femmes avec une joie sincère : "je crois qu'ils n'aimaient pas l'ambiance vestiaire" ajoute Lisa. "Les filles apportent un vent frais" raconte Christophe, et Lisa confirme : "en 15 ans, je n'ai jamais subi le machisme". Le milieu est sain, sexué, mais pas sexiste. En fait, les plus machistes, ce sont ... les médias et les festivals.

Près de 25% des artistes sélectionnés pour les Fauves sont des femmes. Cette année, c'est bien le Grand Prix qui a posé problème. Il serait idiot et injuste d'exiger des nominations paritaires... mais demander que le jury le soit, voilà autre chose. "On veut une vraie mixité dans les jurys de sélections des festivals" affirme Lisa.

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J'espère que cette affaire est un peu plus claire pour vous maintenant.

Alors surtout, continuez, ou commencez, à lire des oeuvres d'hommes comme de femmes ! La BD est riche, régalez-vous !




Exposition "L'art de Morris" du 28 janvier au 18 décembre à la Cité internationale de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême.
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